Soeur Marie Luc, Petite Soeur pédiatre, nous livre, sous forme de méditation, le regard des parents sur leur tout-petit. Ce texte a été publié dans la revue de l’OCH (Office Chrétien des Handicapés) « Ombres et lumière »  n° 163 d’avril-mai 2008.

Si vivant et si fragile 

Ô mon Dieu ! Comme il est petit ! Mon tout petit bébé, si fin, si doux, si « bien fini » comme dit sa grand-mère !
Comme il est beau : ses doigts minuscules, ses petits pieds… regardez, il sourit !

Mon tout petit bébé, si vivant. Merveilleusement vivant… « Il veut vivre » a dit la sage-femme. « Vivant », « vivre », ces mots m’habitent au long des jours et des nuits, au rythme des incidenets et des progrès…

Tout petit bébé, notre enfant… Il tient tout entier dans le creux de la main de son papa.
Oui, hier, l’infirmière l’a posé délicatement dans cette main… immense. On ne peut pas dire qu’il l’a pris dans ses bras ! L’infirmière, avec nous, riait… complice !

Sa photo est dans mon sac et dans le portefeuille de son papa.
Et lui, dans son incubateur, a notre photo et le doudou que j’ai porté sur mon sein, et la précieuse image sainte, témoin de notre prière. Liens dérisoires et si précieux !

Immense tendresse, immense détresse, doute, douloureuse espérance !

Nous vivons l’instant présent avec intensité. Remplir l’aujourd’hui d’amour et d’espoir… Demain est incertain.

Pourquoi as-tu quitté trop tôt ton nid ? Est-ce moi qui n’ai pas su te protéger ? Le médecin me dit que je ne suis pas responsable, mais j’ai peur.

Je te parle beaucoup, je parle peu de toi.

Autour de nous, nos proches n’osent pas demander de tes nouvelles, certains questionnent timidement… et je ne sais que dire.
Mais leur amitié, leur présence discrète, pudique, me soutiennent. Même s’ils sont parfois maladroits… trop optimistes, trop inquiets, trop critiques… Qui peut vraiment comprendre ? Comment partager ce que nous vivons ?

Mon tout-petit, je me suis habitué à ce qui t’environne ; le cocon dans lequel tu reposes. Sur ta main, le petit point rouge du capteur qui mesure l’oxygène dans ton sang, les fils, les tuyaux, les machines, les bruits et les clignotants…

Je connais les infirmières, nous te soignons ensemble. Nous nous encourageons, nous parlons de toi, ensemble nous te parlons.

Toutes ces questions, tout ce trouble en nos coeurs, en nos têtes… Nous sommes paralysés, polarisés, impatients, angoissés, effrayés, révoltés, attendris, confiants, enthousiastes. Tout se bouscule en mouvements contradictoires, incohérents, passionnés.

Ô mon bébé ! Que vas-tu devenir ? Qu’est-ce qu’ils te font ? Trop ? Pas assez ?
Combien de temps faudra-t-il pour que l’on nous rassure enfin ? Combien de temps avant que l’on puisse t’emporter hors de ce milieu un peu effrayant et si rassurant ? Saurons-nous nous occuper de toi ?

Le doute, la lassitude ne sont pas loin. L’espoir demeure, bousculé au quotidien, mais réveillé chaque fois que je t’approche, dans l’émerveillement, car tu es là, nous nous battons ensemble.

Et moi, au seuil de cette salle, je regarde ces parents auprès des incubateurs et me sens indiscrète devant ce mystère de vie et d’amour.
Ils sont là devant leur tout-petit, intimidés.
Intimidés dans leur tenue bleue.
Intimidés par toutes ces machines.
Intimidés par ces personnes qui osent toucher leur minuscule bébé avec leurs gestes sûrs…
Ils se parlent à voix basse comme dans une cathédrale.

Et moi je les contemple comme on contemple une icône.

 

Petite Soeur Marie Luc,

Petite Soeur des Maternités Catholiques

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